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01/09/2010

D’où viennent l’Ukraine, le Belarus et la Russie

Posted by Nouvelle Europe on 12/08/10

En Europe de l’Est, il est difficile de faire du passé table rase, peut-être parce qu’il est promis à un bel avenir. De ce point de vue, la magnifique exposition « Sainte Russie » du Louvre (mai 2010) sur l’« art russe ancien » du IXe au XVIIIe siècles pose des questions intéressantes.

Bien que démarrant au IXe siècle, l’exposition n’a mentionné qu’en filigrane la « Rous’ de Kiev » (ou Ruthénie), une des plus grandes puissances de l’Europe par sa superficie, son rayonnement culturel et ses relations diplomatiques – Anne de Kiev, fille de Iaroslav le Sage, était la femme du Roi de France Henri I – et située sur les territoires actuels de l’Ukraine, du Belarus et de la Russie pendant près de quatre siècles [≈880-1240].

La vision historique de l’exposition « Sainte Russie » s’inscrit donc dans ce que des historiens comme Taras Kuzio et Andrew Wilson appellent des « visions concurrentes du passé ». La première, dans laquelle est inclue l’exposition « Sainte Russie », voyait dans la Rous’ de Kiev l’origine de la Russie d’aujourd’hui. Son histoire serait une et indivisible et les Ukrainiens et les Belarusses ne seraient que des « variantes » de la langue et la culture russes. La seconde, soviétique, considérait la Rous’ de Kiev comme « le berceau commun des trois nations est-européennes » et servait à légitimer politiquement « l’union » de ces trois nations dans l’URSS. La troisième estimait que la Rous’ de Kiev était un proto-Etat ukrainien démontrant la différence essentielle entre Ukrainiens et Russes et donc l’indépendance des premiers par rapport aux seconds. Certains historiens bélarusses souscrivent à cette vision, tout comme certains historiens polonais. Dans tous les cas, il y a un sous-entendu politique.

Au delà du problème historique (téléologie), politique (interférence du pouvoir dans la recherche), des relations internationales (légitimation des sphères d’influence), la question de l’identité et de l’origine de ces trois nations reste au cœur du problème. Sont-elles les mêmes, apparentées, ou différentes ? Il y a plusieurs approches pour lier les identités des nations présentes au passé : les « primordialistes » tracent l’identité des nations contemporaines jusque dans le passé ; les « modernistes » estiment que les nations n’existent pas avant l’ère moderne et les « révisionnistes » considèrent que les nations modernes dérivent et reconstruisent leur identité des ethnies anciennes. Toutes ces approches estiment que l’identité est avant tout « ethno-nationale ». Mais cela ne nous aide pas vraiment pour savoir qui, de l’Ukraine, du Belarus ou de la Russie, est la digne héritière de la Rous’ de Kiev.

L’historien Serhii Plokhy suggère une réponse originale à ce puzzle historique et politique. Retraçant l’histoire de ces trois nations et de la formation de leurs identités, il remarque que celles-ci étaient fondées sur d’autres « identifiants » que l’ethnie ou la nation avant le XVIIe siècle. Des catégories comme la religion, la famille, le clan, la région, ou la dynastie avaient alors beaucoup plus de poids dans la formation d’une identité collective que l’idée de nation. Mais ce n’est guère surprenant, vu que le concept de nation n’a pris son sens actuel qu’aux XVIIIe et XIXe siècles.

Quelle que soit la « bonne réponse » à ce puzzle, en Europe de l’Est, les questions d’histoire, de mémoire, de politique (nationale et internationale) ainsi que d’identité se fondent dans celle de l’origine – en l’occurrence, la Rous’ de Kiev. On peut donc tirer cette leçon de l’exposition « Sainte Russie »: l’origine est un ensemble de récits concurrents entre « dominants » et « dominés », à réécrire incessamment en fonction de la situation politique actuelle et sur laquelle se fondent des identités – réelles ou fantasmées – et des rapports de force implicites ou explicites. Ce sont des mythologies et des contre-mythologies d’une généalogie qui n’est jamais un simple point de départ. Décidément, en Europe de l’Est, l’histoire des débuts est une question sans fin…

Zbigniew Truchlewski

20:43 Écrit par xavier de couesbouc | Lien permanent | Commentaires (0)